Art, technologies et IA

Trois expositions consacrent simultanément l’usage des technologies, incluant celles du numérique et de l’IA, dans l’art au sein d’institutions muséales française, deux au Musée d’Art Contemporain de Lyon, et une au Jeu de Paume à Paris.

Au MAC de Lyon

Speculum

Jeffrey Shaw & Dirk Groeneveld, The Legible City, 1988-1991. ZKM, Center for Art and Media, Karlsruhe. Source Lionel Rault.

Le Musée d'Art Contemporain de Lyon dirigé par Isabelle Bertolotti présente actuellement deux expositions avec des œuvres que les technologies rassemblent. La première, du commissaire Matthieu Lelièvre intitulée Univers Programmés, s’articule autour de la relation de l’art aux technologies dans le temps tandis que la seconde, Échos du passé, promesses du futur de la commissaire Marilou Laneuville, questionne les relations des technologies à la nature. Dans Univers Programmés, on retrouve ou découvre l’installation interactive de Jeffrey Shaw et Dirk Groeneveld, The Legible City, datant de 1988-1991 qui permet, en pédalant sur un vélo d’appartement, de découvrir les quartiers de quelques villes au travers de leurs représentations typographiques en trois dimensions. Une pièce numérique iconique qui a toute sa place dans l’art contemporain.

Speculum

Kolkoz, Film de vacances, Hong Kong, 2016. Collection MAC Lyon.

Tout aussi tridimensionnelle et déjà historique est l’installation vidéo des Kolkoz de la série Film de vacances datant de 2016. Car tout y est polygonal, des séquences filmiques du voyage de Samuel Boutruche et Benjamin Moreau à Hong Kong aux volumes de la sculpture qui les met en scène. Comme si le tout avait été extirpé du virtuel par les artistes. Il est heureux que cette installation ait été acquise par le Musée d'Art Contemporain dont on sait l’attachement aux technologies depuis la troisième Biennale de Lyon de 1995.

Disco ball

Eva & Franco Mattes, Half Cat, 2020. Courtesy the artists & Apalazzo Gallery. Source Lionel Rault.

Entrons dans les années 2020 avec la sculpture Half Cat d’Eva & Franco Mattes qui représente un chat à deux pattes. Le félin atrophié a une histoire qui renvoie tant aux anomalies de Google Street View qu’à l’imagination des intelligences artificielles génératives, en ce monde de l’art où les artistes n’attendent que l’inattendu, quand ils ne le provoquent pas.

Speculum

Constant Dullaart, Accepting the Job, 2023. Courtesy the artist & Office Impart, Berlin. Source Lionel Rault.

Il est encore question d’erreur avec la sculpture d’une poignée de main, Accepting the Job (2023) de Constant Dullaart, qui convoque quant à elle les imaginaires standardisés de l’entreprise. Et où l’enchevêtrement improbable des doigts trahit la difficulté des IA d’hier à représenter les mains. Mais dans quels domaines et pour combien de temps pourrons-nous encore nous rassurer avec des qualités qui seraient spécifiquement humaines ?

Disco ball

Alexandra Daisy Ginsberg, Pollinator Pathmaker, 2023. Serpentine & LAS Editions, Source Lionel Rault.

De son côté, l’exposition Échos du passé, promesses du futur questionne le vivant avec des créations, comme Pollinator Pathmaker (2023) d’Alexandra Daisy Ginsberg. Un projet d’envergure associant des jardins en pleine terre avec d’autres virtuels, en ligne. Des lieux réconciliant nature et artifice pensés pour les insectes polinisateurs dont témoignent des œuvres aux couleurs invoquant la diversité des visions animales.

L’héritage de Bentham

Léa Collet, Digitalis, 2023-2024. Production Le Fresnoy & fondation Neuflize OBC

Enfin, l’installation résolument hybride Digitalis (2024) de Léa Collet s’articule autour d’une fiction où l’intelligence artificielle serait du côté de la solution plus que du problème en autorisant une symbiose entre humains et fleurs. Cette pièce toute récente d’une artiste encore émergente incarne le désir de réconciliation d’une génération entière avec la nature.

Au jeu de Paume

Touch some grass

Hito Steyerl, Mechanical Kurds, 2025.

C’est au chercheur en théorie du cinéma, des médias et de la culture visuelle Antonio Somaini que le Jeu de Paume a confié le commissariat général de l’exposition Le monde selon l’IA. Celle-ci est thématisée en sections allant de l’IA analytique à l’IA générative pour aborder des problématiques sociétales comme c’est le cas avec l’installation vidéo Mechanical Kurds (2025) de l’artiste Hito Steyerl aux pratiques documentaires. Le titre fait référence à l’automate du XVIIIe siècle ayant inspiré Amazon dans la création de sa plateforme de micro-travail ainsi qu’aux travailleuses et travailleurs du clic. Car il faut des humains – dans ce cas des Kurdes aux micro-salaires – pour renseigner la machine comme c’était déjà le cas avec le Turc mécanique.

Animal Locomotion

Agnieszka Kurant, Aggregated Ghost, 2020.

Agnieszka Kurant, quant à elle, donne un visage à cette classe ouvrière d’invisibles recrutés généralement dans le Sud global. Car le tirage Aggregated Ghost fusionne les portraits photographiques de celles et ceux que l’artiste a sollicités. Ici, l’intelligence artificielle est du côté de l’outil dans l’usage de réseaux neuronaux, comme de celui du sujet d’un point de vue social.

Demain si le jour se lève

Egor Kraft, Content Aware Studies, 2018.

C’est avec le corpus d’œuvres Content Aware Studies initié en 2018 par Egor Kraft que s’ouvre la section dédiée aux “espaces latents de l'histoire”. Celui-ci s’est focalisé sur la sculpture gréco-romaine pour en combler les manques et en imaginer des alternatives. L’apport contemporain de l’intelligence artificielle à l’archéologie renvoie à celui de la photographie des pionniers à cette même discipline.

Loops of the loom

Justine Emard, Hyperphantasia, 2022.

Continuons à remonter le temps avec Justine Emard qui a usé de réseaux antagonistes génératifs pour imaginer d’infinies variations aux dessins paléolithiques de la grotte Chauvet. En extirpant de l’espace latent des représentations qui jamais ne connaitront la roche, ce sont les songes artificiels d’une machine que l’artiste révèle dans sa séquence vidéo Hyperphantasia de 2022.

Sexus Fleurus

Grégory Chatonsky, La Quatrième Mémoire, 2025.

Le film génératif de l’installation La Quatrième Mémoire (2025) de Grégory Chatonsky regroupe de multiples versions alternatives de lui-même. Mais cette séquence produite en temps réel ne constitue que l’un des composants de ce que l’artiste a imaginé tel un tombeau. Aux archéologues du futur d’étudier la vie qu’il aura vécu sans la dissocier de celles qu’elle a inspirées et qu’il aurait pu vivre.

Humans need not to count

Samuel Bianchini, Prendre vie(s), version 03, 2020-2025.

Enfin, il y a l’installation Prendre vie(s) initiée par Samuel Bianchini en 2020 qui, en exhibant une tour d’ordinateur, nous dit qu’elle s’exécute aussi en temps réel. L’étrange granulosité évolutive laisse deviner l’image d’un cimetière convoquant la mort. Bien que son affichage soit la conséquence du fonctionnement d’un automate cellulaire intitulé Le jeu de la Vie par son inventeur John Horton Conway en 1970. Un jeu de simulation mathématique à zéro joueur que beaucoup découvriront parmi tant d’autres notions ou concepts que déploie cette exposition au croisement des arts, sciences et technologies.

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